Descriptif
Informations
Ainsi, le seuil entre l’intérieur et l’extérieur des œuvres présentées est brouillé. Les débris des chantiers voisins à mon atelier d’Ivry-sur-Seine sont collectés, transformés, pour dialoguer avec la logique architecturale de cet espace d’exposition. Des bennes, ou du sol où ils sont enfouis - invisibilisés - je les déterre pour leur donner une autre des propriétés de ce qui est enseveli : la fondation.
Tous les éléments collectés, les fûts, les bois formant la rampe, les balais, le verre, conservent un lien fort avec leur site d’origine. Leur déplacement s’est opéré spatialement, mais aussi symboliquement : des chantiers de banlieue du Val-d’Oise où rien ne les dissociait du banal, à l’espace d’exposition et sa logique rouge, intérieure, fantasmagorique. Les débris deviennent l’ombre de l’architecture, une empreinte du bâtir, somme de gestes anonymes. C’est à la fois le vestige d’une dépense et déjà le monument.
Les mouvements qui m’intéressent le plus sont, selon une expression Deleuzienne, des mouvements aberrants. Ils obéissent à une logique qui ne tient pas au rationnel et nous décentrent. Ainsi la fragilité des fûts, rendus indéplaçables par l’ajout de verre, indistinctement de leur poids. Ou la spirale de la rampe obéissant au tracé qui confond début et fin, mouvement ascendant et descendant, ce qui fonde et qui est fondé. De même les miroirs créés pour l’installation, à partir d’un métal de thermomètre au point de fusion de 37 degrés, ont le potentiel de se liquéfier et goutter à température ambiante, alimentant une confusion entre image et matière.
Dans cette exposition, la fonction sculpturale tend à empiéter sur l’environnement. Ici tout est paysage. Les sculptures qui composent l’installation sont faites de la matière du quotidien, du monde des échanges, du travail, du domestique.
Elles témoignent pourtant de fonctions pré-architecturales réelles ou rêvées : mobilier, structures, mécanismes, outils de mesure de l’espace, de la température.
Le corps est, dans cette logique métaphorique, présent dans ces objets. S’il l’est par les représentations - les fûts comme deux poumons, l’image dans les miroirs ou l’omniprésence du rouge chair - ce sont aussi des attributs psychologiques qui augmentent sa présence. La tâche de Rorcha argentée, les fragments de textes aux accent inconscients, sont autant de formes simples déplacées, engageant plusieurs niveaux de lecture.
Le couvercle d’un bidon, résultat de la fonte de plombs typographiques et de poids de plongée sous-marine, est la tentative alchimique d’alliance entre la lettre et la descente dans une abysse. Dans cette fusion, la lettre, symbolique du récit, rencontre le mouvement aberrant de son entraînement dans les profondeurs de la psyché.
La main humaine est ici, selon la formule de Marguerite Duras, une main négative : dans la forme des débris taillés en main-courante d’escalier faite pour la préhension, celle-ci est omniprésente. Dans les manches d’ustensiles aussi.
Nombre de matériaux utilisés dans l’exposition sont en lien avec le soin. On a prêté au plomb et au mercure des propriétés curatives, leur toxicité n’est plus à démontrer. Le concept platonicien du Pharmakon, un même objet qui peut être poison et remède, m’aide à trouver une perspective plus personnelle dans le cycle de vie et de mort, du nouveau et de l’ancien. Par ce lien, je peux cesser de voir une opposition angoissante, et apprécier les transformations à l’œuvre dans les choses qui s’effondrent.
J’ai pensé cette proposition en cherchant des ressources tant chez les artistes, les auteurs/trices que chez des architectes. Marco Cruz, à qui j’emprunte ce titre The Inhabitable Flesh of Architecture, a recours à l’analyse d’œuvres d’art dans sa théorie de l’architecture.
De la même manière j’ai recours à l’inspiration de bâtiments : en abolissant toute distinction entre fonctionnel et déserté, habitable et inhabitable.