Baptiste Verrey

Résumé

Partir à la chasse aux orages. Chercher les nuages au bord de l'éclatement. L'étendue du ciel nous écrase; ses tremblements; ses torrents; ses flashs lumineux imprévisibles. Et le spectacle de l'orage, qui dépasse l'humain par sa puissance, est devenu l'expression du bouleversement politique. Ces déluges qui transforment les paysages nous paraissent à la fois providentiels et dévastateurs : de l'orage révolutionnaire de 1789 en France aux Printemps arabes de 2011, des sturmtruppen de la Première Guerre mondiale à l'opération Tempête du désert en Irak en 1991, la météorologie traverse la littérature, les stratégies militaires, les mots d'ordres insurrectionnels et toutes les atmosphères politiques. Ce long trajet symbolique remonte aux premières représentations romantiques de la tempête, auxquelles succèdent aujourd'hui des films catastrophe hollywoodiens et des hordes motorisées de chasseurs d'orages. Les humains essaient de comprendre les phénomènes célestes, de les simuler et de les contenir dans des images et des algorithmes : à chaque fois, l'orage y échappe. Aujourd'hui, les partisans de l'ingénierie climatique nous expliquent que, face au dérèglement environnemental, il faut contrôler les catastrophes. Il nous faut les créer, profiter de leurs effets, puis les supprimer. Si bien que la métaphore de l'orage se renverse : les phénomènes météorologiques ne sont plus des visualisations du politique, ils en sont le produit. Les effets de l'industrie globalisée s'incarnent matériellement dans le ciel, par la modification météorologique et le dérèglement climatique, qui amènent à leur tour conflits, migrations et insurrections. Les mouvements sociaux contemporains, en suivant la même inversion, ne cherchent plus à engendrer les cataclysmes mais à les arrêter. En 2019, lors d'une manifestation en France, une banderole affichait le message Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce . Les oiseaux révolutionnaires ne produisent plus des tempêtes, ils veulent y échapper. Au-delà du catastrophisme, la politique de l'orage permet de repenser le lien entre l'humain et son environnement, entre le sol et le ciel. Pour sortir de nos abri anti-tornades, il nous faut éprouver les vents qui soufflent au dehors.