En transit
Lise Rémon
En transit
J’ai vécu au Japon, et j'entendais depuis mon téléphone la révolte de France commencer à gronder. En suivant les chuchotis j'ai vu les images, tous en gilets jaunes sur les ronds points et les Champs Élysées, les masques pour se protéger des gaz, et les barrières de chantiers pour éviter les coups. J'étais hypnotisée vraiment, par mon écran. Dans le Tokyo calme dont tout m'échappait, il y avait ce boîtier rempli de colère et de révolte, et j'étais pleine d'excitation, de frustration et de peur de ce qui s'y passait, loin de moi. Tous les jours, dans les transports, je me plongeais dans ces images de manifestations, que les algorithmes des réseaux entretenaient, et qui m'ont maintenue de longs moments dans cet entre-deux là. Ni totalement ici, et impossiblement là-bas.
Le projet
En transit entre deux pays, entre deux idéaux, entre le réel et les images. Voilà le lieu du film. Il s'agit d'une fiction animée de 6 minutes qui raconte l'impossible traversée de ces images, et
du trouble qu'elles procurent. On suit cette fille qui part du Japon pour aller en France, dans l'aéroport de Tokyo-Haneda. L'attente, puis le retard annoncé de l'avion. L'attente encore, puis les
images que l'on regarde pour passer le temps. Celles des publicités des grands halls, et celles dans le téléphone, des actualités françaises, de ce qui se passe là où l'on doit aller. Des manifestations dans tout le pays, dans les rues, dans les gares, et dans les aéroports. Les aéroports ? On regarde de plus près et l'on comprend : on ne peut pas rentrer, car ce qui nous hypnotise à l'écran est la raison même de ce qui nous en empêche : l'aéroport Paris-Charles de Gaulle est bloqué. Alors commence le trouble, le transfert d'une réalité vers une autre, par le biais des images. La fille s'élance à l'intérieur, vers la destination vue et fantasmée, mais elle peut toujours s'y projeter : elle reste là, en transit (...)