Marine Ducroux-Gazio

Résumé

Textiles féminins du bas Moyen Âge : émancipations, dépossessions, narrations et cosmologies brodées. Désintégrés, anonymes, abîmés, cachés : rares sont les artefacts textiles médiévaux qui ont pu parvenir jusqu'à nous. Dans la mesure où le textile a longtemps été considéré comme une activité féminine, je sens comme un manque à cet endroit, et le besoin de retracer une cartographie des mémoires textiles médiévales, de ce que peuvent nous apporter ces artefacts dans une relecture féministe de l'histoire européenne. La plupart des auteurs d'ouvrages sur le textile médiéval passent sous silence la place des femmes dans le monde textile, qui a moins trait aux grands ateliers industriels, aux guildes masculines et aux tapisseries luxueuses qu'aux marges - pratiques domestiques, religieuses, lissières et fileuses anonyme, brodeuses, parleuses à la quenouille. Recenser les faits permettra de constituer une perspective globale, et de comprendre quel rôle les femmes ont pu prendre par leur activité textile. Le lieu d'une prise de pouvoir économique, un lieu privilégié de parole, de partage de connaissances, de création, de lien avec le monde. Une activité parfois considérée comme sacrée voir magique -les pratiques textiles sont auréolées de toute une mythologie puissante, entre spiritualité, mystique et crainte. On peut tenter une première approche par l'étude des sources historiques et des représentations de femmes à l'ouvrage dans les enluminures et les textes médiévaux. Cependant, la plupart des auteurs de ces archives sont des hommes. Mon hypothèse est la suivante: étant donnée la confiscation de la parole féminine et le peu de sources les situant, on peut imaginer lire ces productions textiles comme un moyen symbolique, gestuel d'une expression silencieuse. Il s'agit de se confronter directement à ces tapisseries et ces broderies. Y a-t-il une cosmogonie et un imaginaire graphique propre à ces ouvrages féminins? Dans quelle mesure peut-on en retracer la genèse, y lire une signature ? Enfin, quelle narration organique contiennent ces fibres, quels indices dans l'apparent silence de ces ouvrages opaques, au carton souvent créé par des hommes ? Toucher, recevoir, sentir: une telle lecture de ces pièces, archéologie sensible, serait elle possible ? Ainsi le mémoire serait basé sur une lecture croisée en aller-retour entre les sources graphiques, historiques et l'étude spéculative et sensible d'artefacts féminins - un travail d'enquête donc, et de conteuse, puisque le mystère de l'anonymat de ces oeuvres et la difficulté de les situer précisément ne permettent de lire ce pan de l'histoire qu'en creux. Une invocation contemporaine, un travail de mémoire sensible et narratif, une relecture de l'histoire matérielle comme négatif de gestes et d'existences.