Chahinase Youcef

Résumé

"Chère Mère-Nation, récemment, vous m'avez demandé pourquoi je prétendais avoir peur de vous. Comme d'habitude, je n'ai pas pu vous donner de réponse appropriée, en partie à cause de la peur que vous m'inspirez, et en partie parce que la motivation derrière cette peur implique trop de détails pour être exprimée oralement de manière cohérente. Même si j'essaie de vous répondre par écrit maintenant, ce sera encore de manière très incomplète car, même par écrit, la peur et ses conséquences entravent ma relation avec vous. De plus, l ampleur du sujet dépasse de loin ma mémoire et ma compréhension. Je ne sais pas si cela vient du fait que le monde me semble si étroit, chaotique et fragile. Je ne sais pas comment donner du sens aux identités de demain, prises entre ces hommes si terrifiés par l'Autre et ces Autres inassimilables à ces hommes. Je crois que nous allons de mal en pis. Voici ce que je crois. Ma foi en l'humanité est en train de mourir. Je te vois constamment nous regarder, évitant tout contact visuel, délimitant physiquement une frontière entre toi et nous. Je te vois t'enfermer dans les pensées les plus sordides, dans les imaginations les plus terribles. C'est vous qui devriez supporter le visage de la honte. C'est vous qui devez porter sur vos épaules la fantasmagorie de l'horreur européenne. C est vous qui avez fait désintégrer l Autre, nous. ""Tout a foiré. Tous brisés, pseudoprédisposés à accumuler tous les vices de l'humanité. Votre ordre moral n est qu un mensonge. Vos mécanismes ne sont que tragiques. Vous êtes la 105 généalogie de tous nos monstres. Le déni est précisément dans votre devise républicaine chérie et tendrement trompeuse : Liberté, Égalité, Fraternité. Laisse-moi tranquille. Quelle belle histoire. Je suis assez sévère envers ceux qui proclament que chaque citoyen est traité sur un pied d'égalité. À première vue, je me demande quel chemin mène à une telle étroitesse d esprit. Est-ce vraiment comme ça que tu es ? Un moralisateur sans moralité. Je te vois constamment nous diaboliser, attendant comme une hyène que ton voisin dérape, pour faire une grimace de trop. La peur de l Autre n a jamais autant galvanisé les foules avides de sueur, de sang et de haine. Et j'ai peur. Nous avons peur. J'ai peur de votre police. J'ai peur que ces humains sombrent dans la folie. J'ai peur de votre république. J'ai peur de mille et une choses. Mais j ai surtout peur de l être humain. J'ai peur de toi. J'ai peur de nous. À la fois responsable des pires atrocités et des plus beaux actes de foi en l humanité. Je crois que nos paradoxes résident dans notre ADN, depuis la création de ce monde. Je voulais partager avec vous une réflexion inspirée du verset 6 de Genèse, dans laquelle Dieu nous rappelle l'importance de la patience et du repentir. Ce verset nous rappelle pourquoi nous devons être patients et pourquoi nous devons nous repentir. Lorsque nous sommes affligés, cela nous rappelle que le tourment et la souffrance sont les seules choses auxquelles nous pouvons nous attendre dans ce monde. L'homme est destiné au tourment. Non pas comme un homme, mais comme un pécheur qui a commis des fautes. Un pécheur né dans le péché et donc né dans le tourment. Vous conquérez, donc vous êtes. J'ai peur, donc j'existe. Chahinase"