Pourquoi as-tu choisi le Japon pour réaliser ton échange universitaire ?
J'ai choisi le Japon pour sa manière unique de célébrer l'éphémère, le passage du temps, la beauté dans les détails de la nature. Cette esthétique résonne particulièrement avec ma manière de créer et mon approche textile. Je voulais comprendre comment la culture japonaise tisse des liens invisibles entre l’humain, le paysage et la matière. Plus précisément, j'ai pu explorer le concept japonais de « yūgen », cette beauté discrète et évanescente, qui suggère plus qu'elle ne montre, propre à la culture japonaise, et que je transpose dans mes créations textiles.
Quels objectifs, artistiques et professionnels, avais-tu en tête pour ce séjour ?
J'avais un double objectif : apprendre des savoir-faire traditionnels liés à la teinture naturelle et à la peinture sur soie, et m’imprégner d’une esthétique du quotidien, de la manière dont l’environnement, la nature et l’art dialoguent ici. Je voulais aussi expérimenter une autre manière de créer, plus lente.
Peux-tu nous parler de ton projet de collection ?
Ma collection s’inspire de mon voyage à travers le Japon, à la rencontre de paysages naturels et de savoir-faire textiles traditionnels. Chaque pièce évoque un souvenir sensoriel, tente de recréer une atmosphère de contemplation et chaque silhouette fait référence à un lieu (les grottes calcaires d’Okinoerabu-jima par exemple) ou à une émotion. Je cherche à tisser un lien poétique entre corps, textile et environnement, en m’appuyant sur des techniques telles que la peinture sur soie, le yūzen (réserve à la pate de riz) ou l’aiguilletage. Ce projet, profondément sensoriel, explore la notion japonaise de « yūgen », ce que l’on ressent sans pouvoir pleinement le nommer.


Tu as pu rencontrer des artisans locaux lors de ton échange : certaines rencontres ont-elles été particulièrement marquant pour toi ?
Ma rencontre avec les artisans de Ryukyu Indigo Labo à Okinawa a été particulièrement forte. J’y ai découvert une approche sensible et presque spirituelle de la teinture naturelle à l’indigo fermenté, enracinée dans la culture locale des îles Ryukyu. J’ai eu la chance d’expérimenter moi- même le processus, en teignant un pantalon que j’avais conçu et cousu pour la teinture.
Ce moment a été fondateur : plonger le tissu dans la cuve, sentir son odeur vivante, observer la couleur virer lentement au contact de l’air. Cette expérience m’a donné envie de revenir à des processus plus lents, respectueux du vivant, et de repenser ma pratique non plus seulement comme une production, mais comme un rituel de transformation et de lien. Elle a aussi ouvert une nouvelle perspective, celle d’un textile-portail, qui porte la mémoire d’un lieu, d’un geste, d’une rencontre.
Qu’as-tu appris auprès de ces artisans que tu n’aurais pas appris dans un cadre académique ?
Les artisans m’ont transmis une vision du textile comme un organisme vivant, qui évolue avec le temps, le climat, les gestes. J’y ai appris l’importance du temps lent et de l’écoute. Ici, les artisans m’ont transmis une forme de sagesse du geste, l’attention portée à ce qu’on ne contrôle pas, à ce qui échappe. C’est une autre forme d’apprentissage, plus intuitive, où l’on accepte de ne pas tout contrôler. Ces artisans m’ont également transmis une nouvelle manière de voir l'ennoblissement textile en envisageant le textile, pas seulement comme un support, mais comme un espace de dialogue avec les éléments (l’eau, les plantes, la terre, le temps). Enfin, j’ai pu expérimenter des pratiques que je n’aurais pas croisées à l’école, comme la fermentation de l’indigo, les réserves traditionnelles au riz ou les techniques de tissage manuel propres à certaines régions.



La vie au Japon a-t-elle changé ton regard sur ta pratique artistique ?
Vivre au Japon a vraiment changé mon regard sur ma pratique artistique. J’ai pu ralentir, observer, ressentir autrement. J’ai compris que je voulais ancrer ma pratique dans une forme de justesse sensorielle, où chaque textile raconte une relation intime avec un lieu ou une mémoire. Cette expérience a renforcé mon envie de travailler à la croisée de l’artisanat et de la narration textile, en collaborant avec des ateliers, en développant des collections en édition limitée, et en créant des installations textiles immersives.
Cette expérience a-t-elle fait évoluer tes envies pour la suite de tes études et/ de ton parcours professionnel ?
J’aimerais prolonger cette recherche en explorant des installations portables et sensibles, à la frontière du vêtement et de l’espace immersif. J'aimerais créer des textiles suspendus en soie, en gaze ou en fibres naturelles qui peuvent se superposer et bouger. Des textiles flottants, semi-transparents, peints à la main ou teintés naturellement, qui réagissent à la lumière, au mouvement, et deviennent des espaces de passage sensibles, inspirés par la fluidité des shōji* japonais ou la matérialité du vent dans un noren*. Je conçois cette installation comme un environnement temporaire, modulable, que l’on active par le corps. Le tissu devient alors une interface vivante entre soi et le monde, un filtre poétique qui invite à ralentir, à sentir, à contempler.