Je veux bien d’un monde où les architectes ne construisent
Armelle Antier
Je veux bien d’un monde où les architectes ne construisent
J'oublie de regarder ce que j'ai, de donner de l'importance à mon quotidien et à ce qui le constitue : objets (la forme de la tasse dans laquelle je bois mon thé le matin), lumières (la nappe de lumière qui se dépose sur le mur de ma chambre à partir de neuf heure et demie et qui se décale toute la matinée jusqu'à arriver sur le sol), ambiances (la fin de journée où tout l'immeuble se relâche, les enfants du dessus jouent du piano, d'autres jouent dehors, les télés s'allument, ça sent la nourriture), températures (la chaleur monte vite le matin quand le soleil donne dans ma chambre, et baisse dès qu'il a tourné, en début d'après - midi).
Le projet
En fait non, je n'oublie pas d'apporter de l'attention à ces choses-là. C'est juste qu'elles ne sont jamais dites, elles se font. Elles prennent la forme silencieuse de l'habitude. Personne ne sait leur existence ni le plaisir qu'elles me procurent. Pourtant, elles ont une grande influence sur ma manière de vivre. A l'intérieur de mon logement se déroulent, dans l'intimité, les actions simples du quotidien. Les gestes répétés jour après jour dans le secret du logis sont au coeur de l'architecture d'intérieur.
C’est tout cela que je dessine. Je voudrais souligner l’importance de ces moments. J’aimerais montrer qu’ils sont permis grâce au confort donné par le bâtiment, et augmentés par les qualités du bâti. J’espère, en révélant ces qualités, montrer que nous avons de la chance d’habiter là où nous habitons. Je souhaite reconnaître cette chance plutôt que de me déclarer insatisfaite
des services rendus par le bâtiment. Je ne veux pas compter sur des travaux lourds, longs et coûteux pour régler des problèmes qui ne seront pas résolus de cette manière. C’est en travaillant sur les relations entre l’habitant et son environnement que l’on peut améliorer notre monde.
Le projet est de créer par le dessin un espace commun imaginaire, un moment où les habitants d’un même endroit peuvent apprendre à se connaître. En regardant les dessins, on voit que des vies différentes se déroulent dans le même immeuble, et se rassemblent autour des mêmes choses : la nourriture, la musique, la décoration, les activités quotidiennes. Le projet permet de raconter les histoires vécues par les uns et les autres. Cette démarche est temporaire, mais une fois qu’un espace commun imaginaire a été créé, il pourra rester longtemps dans la mémoire des habitants.