Irreversibly Altered
Daria Svertivola
Irreversibly Altered
Il me suffit de fermer les yeux pour faire un grand voyage. Malgré la longue distance qui me sépare de ma destination, elle est toujours la même : je finis par poser le pied sur une terre de Cocagne que l’on appelle désormais « Chagrin ».
Le projet
J’en reconnais les rues, les immeubles et les visages. Il m’arrive de parler aux personnes qui gisent là, qui attendent dans une brume éparse, où je pourrais même distinguer une maison que je connais bien et que j’ai quittée. Je la retrouve entachée de tragédie. L’inquiétude me gagne à mesure que je parcours les chemins de cette terre, elle grandit, m’englobe, me serre le cœur. Cette brume me brouille la vue. Je regarde autour, je ne reconnais rien. Les bâtiments sont éclatés sur le sol, là même où poussent des mines. Les musées aux murs vides. Je retrouve le visage de mes proches plus vieux et plus triste qu’avant.
Les jeunes, qui ont à peine commencé de vivre, mettent des uniformes et partent quelque part « à l’est ». Vont-ils revenir un jour de là-bas ? Ma vision se brouille. Je ne vois plus que les enlacements sur le quai des gares, les tombes fraîches qui fleurissent sur une terre brûlée. Deux couleurs flottent dans le vent. J’entends des alarmes, je cours et je cherche un abri. Je me recroqueville entre deux murs, je regarde la nuit, et la nuit me regarde apeurée. L’inquiétude m’étouffe. Je me dis « réveille-toi et tout sera fini ». Les yeux restent ouverts sur une terre de Cocagne que l’on appelle désormais « Chagrin ».